Frédéric DAVIAU

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Biographie

 

Les dessins de Frédéric Daviau font paysage.
Le geste du dessin participe d’un double mouvement. Celui d’une « condensation » dans la réalisation du dessin lui-même, sur des supports divers: papier, toile, bois, étendant ainsi l’usage du simple crayon à une variété de situations, et celui d’une « dilatation », du regard étendu qui se déploie depuis le souvenir des espaces parcourus physiquement. Le paysage en est résultant.
Ils font paysage en ceci qu’ils ne sont pas issus de l’attitude du géomètre – topographe ou celle que détermine la fenêtre albertinienne d’un point de vue unique et immobile, les dessins ne se rattachant à aucun motif ou paysage existant.
Pas d’objet que l’esprit pourrait nommer de façon certaine: route, construction, présence humaine… Seuls des arbres sont identifiables, n’appartenant à aucune espèce particulière. Ils sont essentiellement des formes pulmonaires. Des êtres de respiration.Ces respirations sont rythmées. Ces rythmes font dessins, où la domimante du trait et un riche répertoire de graphies déploient des champs d’écritures faisant alterner contractions et détentes, localisations singulières et saisies globales. La jouissance exploratoire que nous avons du monde semble au coeur de la pratique d’un dessin invitant à une vision « déambulatoire », libre de construire ses trajets.

De l’exposition intitulée « Aménagements au désert » ( 2009, POCTB, Orléans) à celle, « Immensités intimes », dans une référence bachelardienne ( 2017, Centre d’art APONIA ) revient sans cesse cette aspiration et cette invitation à établir dans la vision du dessin une centralité ouverte sur une échelle plus vaste.
Né en 1959, Frédéric Daviau suit dès 1974 une formation à l’école Olivier de Serres à Paris. Ancien élève de l’ENS de Cachan, il mène aussi une activité d’enseignement à L’ENSAAMA et participe à des interventions ponctuelles ( Ecole du paysage de Versailles, Atelier du Carrousel du Louvre… ).

 


 

 

Frédéric Daviau, inlassablement, dessine des paysages, en noir et blanc, à la mine de plomb, ou rehaussés de quelques taches de couleur. Ils sont souvent panoramiques, comme saisis à distance, d’un point de vue légèrement surélevé. Ils ont tous un petit air de famille, donnant l’impression qu’ils décrivent le même secteur, boisé et légèrement vallonné. On y décèle l’influence des paysagistes hollandais, au premier rang desquels A.I Van Ruisdael.
Le paradoxe est que ce pays si bien figuré n’existe pas, du moins géographiquement parlant. Ces dessins sont tous d’imagination, réalisés en atelier sans le moindre modèle.

Si paysage il y a, il ne peut être que mental, fruit de la vision intérieure d’un pays cocagne dont les rythmes doivent plus à l’architecture et à la musique qu’à la topographie.

Curieusement, toute trace de présence humaine en est bannie. Tout au plus peut-on imaginer une route ou un chemin dissimulé derrière les feuillages, ou l’herbe d’une prairie récemment fauchée. Les alignements des arbres n’ont rien de fortuit ou d’anarchique. Ils témoignent aussi d’une présence active et créatrice… Mais il s’agit à l’évidence de la projection idéalisée de la personnalité de l’artiste plutôt que les effets de l’action d’un quelconque paysagiste ou exploitant agricole. Aucune violence ni véhémence, seulement les luxe, calme et voluptés chantés par Baudelaire. La déambulation ne peut être physique et éprouvante. Elle est celle du regard et de la pensée qui l’accompagne, focalisés par un menu détail ou élargis aux dimensions d’une feuille qui devient un monde. Les tensions sont rythmiques et mélodiques comme dans la partition d’une écriture musicale horizontale d’où serait bannie toute velléité harmonique.
Frédéric Daviau nous incite à nous poser la question de ce qui distingue une création raisonnée d’un travail humain de celle d’une nature laissée à elle-même, incontrôlable. Peut-être que, après tout, il n’est question, dans ces dessins, que de temps, d’un temps qui serait celui d’une respiration lente, au rythme d’une pensée méditative, d’une introspection aux accents sensuels, comme une étreinte amoureuse qui s’appliquerait vainement à embrasser tout l’univers…

 

Louis Doucet, 2017

Immensités intimes

Quelques lignes, une masse végétale, un halo de lumière. Au départ, rien de précis, rien qui puisse être nommé. Des détails surgissent. Une sorte de bosquet né de lignes entrelacées. Détails insignifiants faisant néanmoins signe. Obscures clartés, empreintes diaphanes. Sensations de nature. Spectres de lieux. Presque rien.
L’expérience est troublante d’être mis en présence de quelque chose d’inconnu, d’innomé.Une somme brute de perceptions échappant à notre monde de choses identifiées. On pénètre ici en terre d’ascèse, aux confins des facilités bavardes du language. Des formes vacillantes reliées entre elles par d’invisibles et secrètes relations. On chemine avec prudence, loin de l’évidence photographique. Un lieu, des lieux sans doute, dont les contours se dérobent. On ralentit le pas. On s’arrête.
On ferme les yeux. Présence pure à soi-même et aux choses, comme pour écouter fondre la neige. On imagine un chemin, sinueux, que l’on découvre lentement, dont chaque recoin se cache. On en parcourt le fil comme on déroulerait une corde à noeuds, tenant en main ses secrets.

Le regard et les pensées se laissent attirer vers certains points de la feuille, s’y abandonnent. Traversés d’un mouvement, d’une tension, nos champs perceptifs vacillent légèrement. Ce lieu, ces lieux, on s’y installe sans même se demander ce qu’il est, où ils sont. Quelque chose prend corps, lentement quelque chose est entrain d’apparaître.
Espace-substance fait de textures lumineuses, de matières fluides qui ont leur propre énergie, leur propre rayonnement, leur propre respiration. Réfléchissant à ce qui différencie oeuvre humaine et oeuvre de la nature, Valéry observait que celle-ci, dans son travail, ne distingue pas les détails de l’ensemble : elle pousse à la fois de toutes parts, elle s’enchaîne à elle-même, sans essais, sans retours, sans modèles, sans visée particulière, sans réserves.
Choisis et ordonnés par l’artiste pour qu’ils nous parlent, on recueille un à un ces signes, ces êtres produits par la nature. Ici, une densité végétale qui semble habitée. Là, un tracé de couleur qui fait événement. Sensualité de l’herbe grasse dans un pré ? On les laisse rayonner dans leur puissance immédiate, et on cherche plus profondément en soi ce qui est atteint.
Les dessins de Frédéric Daviau sont des corps à corps amoureux avec la nature. Ils cherchent à en capter les forces, à en accueillir la respiration. Leur format, leur présence irradiante guident nos pas et nos gestes. On s’approche, on s’éloigne, dans un rythme pendulaire de flux et de reflux. On chemine, on médite, on déambule, on rumine. Sait-on encore où l’on est, où l’on va ? Progressivement, on trouve une juste distance, un mouvement s’installe dans l’espace d’exposition. Les détails s’effacent, l’heure ne sonne plus et l’espace s’étend sans limite. G. Bachelard. Il y a quelque chose de chorégraphique dans ces dessins, tous réalisés en atelier, sans aucun point de vue topographique. On chercherait vainement, dans le geste qui leur donne corps, la référence la plus ténue à une quelconque géographie. Michaux dessinait l’écoulement du temps : cinématique des pulsations de la vie pour se saisir plus fermement de la conscience d’exister… Proust, lui, absorbait la durée vécue dans le souvenir : contraction du temps, déflagration au sein des couches les plus profondes de l’être mettant en éveil ce qui le constitue…
L’oeuvre de Daviau relève de ces pratiques qui orientent notre attention vers des points précis de l’espace et du temps. À l’instar de l’acupuncture, elle y réveille mille et une tensions accumulées, leur ouvre un espace de décompression. Ses fines aiguilles concentrent et relâchent successivement les flux de nos perceptions, en libèrent quelque substance, les dilatent, en agrandissent les territoires.
Rêvée ou dessinée, chaque image est un mouvement stabilisé, par lequel la nature se dévoile et s’offre, dans la plénitude d’une rencontre inattendue avec un corps, dans le battement d’un pouls. Expérience kinesthésique du distancement maîtrisé, état de grâce, jouissance du dévoilement qui ébranle les assises de notre être et provoque une formidable détente.
On est « touché comme par une flèche, un regard » P.Jaccottet.
Les paysages de Daviau ré-interrogent les relations entre intérieur et extérieur, redessinent les frontières qui les séparent. Un mouvement les habite qui libère le pouvoir de s’imaginer ailleurs ou nulle part. Qu’est-ce que finalement un lieu, un paysage dans cette expérience, sinon le murmure d’un désir de s’étendre, le souffle d’un déploiement secrètement recherché dans la nature ?

Une poétique de l’espace née d’un rêve d’immensité et animée d’un mouvement d’expansion.

On est traversé par l’oeuvre d’un être qui se déploie.
Pour Bachelard, cette puissance intérieure donne sa véritable signifcation au monde qui s’offre à notre vue. Une immensité qui retentit en une intensité de l’être intime « une feuille tranquille, vraiment habitée, un regard tranquille surpris dans la plus humble des visions sont des opérateurs d’immensité. Ces images font grandir le monde, grandir l’été ». 
Il faut vivre ces dessins dans leur destin de grandissement, dans leur immensité poétique.

Jean-François Coulais, 2015

© Crédit photo – C. Michel Martloff